Xavier Riescher : « Les seules barrières qui existent sont celles qu’on se met dans la tête »

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Jadis, Xavier était un étudiant « rebelle et plutôt tranché » qui se rêvait révolutionnaire en Colombie : « Quand on est jeune, on veut toujours changer le monde. À présent, mes ambitions sont plus mesurées », affirme-t-il avec sagesse. Si le jeune homme d’hier a laissé place à un homme d’affaires diligent, capable de mener plusieurs courses contre la montre, voilà qu’au fil des confidences, le Directeur Général de Panzani se surprend à déposer son petit cadran sur le coin du canapé.

Alors qu’aujourd’hui la mode est aux dresseurs, Monsieur Riescher, lui, s’est rapidement fait un nom en tant que redresseur de produits : « Je n’accepte pas qu’on dise que ce n’est pas possible car tant qu’on n’a pas tout essayé, on ne peut pas perdre espoir. Cela met parfois la pression à mes collaborateurs, mais je crois que c’est cette conviction qui m’a réellement permis de faire la différence dans mes différents emplois », affirme l’ex-Directeur Marketing du groupe. Il faut aussi dire qu’il maîtrise parfaitement son rayon : Lessive Action 2, Palmolive Vaisselle, PiM’s, Mikado, tous défilent sous son regard inquisiteur pour conserver leur place sur les étalages – même Le Petit Lu, pourra en attester. En cent ans, Xavier est le premier à avoir touché à sa recette traditionnelle : « On se focalise souvent sur l’innovation en pensant qu’elle va nous sauver, alors qu’il se cache des trésors dans les produits standards ! Même si l’innovation est fondamentale, la rénovation l’est aussi ». Adepte des stratégies de rupture, en lançant le concept des « petits moments de bonheur » autour de Panzani, Xavier est aussi parvenu à raviver les tendres souvenirs de notre première coquillette. Un succès qui ravit les parts de marché et ne manque pas de faire rougir la madeleine de Proust. Une fameuse histoire de chasseur chassé qui, comme les consommateurs, s’est attaché à certains produits en leur jurant fidélité : « Même en vacances, je ne peux pas m’empêcher d’aller voir comment ils vivent, comment sont les paquets – je vis avec ! ».

Que voulez-vous, Xavier est du genre curieux, « et même extrêmement curieux ». En témoigne son premier pas dans les études supérieures, qui l’invite rapidement à avoir un pied partout : les classes préparatoires Henri IV, l’ESCP Europe, un Master Gestion des projets internationaux, et même un crochet par la Sorbonne pour y découvrir la philosophie de l’art. Xavier aura beau s’imaginer décrocher le sésame, un Doctorat en sciences sociales, cet espoir – non partagé – sera de courte durée : « Mes parents m’ont dit que j’avais assez étudié ! Je suis donc allé vers le marketing, car c’est ce qui me semblait le plus mêler action et réflexion, tout en gardant cette dimension sociologique et psychologique ». Toquant aux portes du monde du travail « à coups de CV atypiques », même sous la forme de Post-It, le créatif entame sa carrière en tant que chef de produit chez Colgate : « L’entretien avec le Directeur Marketing était tout à fait original. On n’a parlé quasiment que d’histoire de l’art ! », lâchet- il, un brin nostalgique. Car c’est là, dans celle qui fut pendant des années « la plus grosse boîte marketing de France », que le jeune Riescher admet avoir reçu sa première leçon de stratégie. Quelques années plus tard, à son tour de donner la sienne : de multiples publicités répètent l’importance de saisir les opportunités, lui refusera d’être envoyé à New- York et de contraindre sa femme à abandonner sa boutique de stylisme à Paris. Aucun stage au compteur, encore peu d’expérience, et pourtant, en refusant de faire passer sa carrière au premier plan, l’ex petit écolier prouve qu’il a déjà tout d’un grand. Désormais, c’est LU qui donnera le la, en lui confiant la responsabilité des biscuits secs et chocolatés. Trois années à sauver de l’exil des produits en pleine chute européenne, et à remplir ses placards de techniques marketing ; trois années à prendre goût à la persévérance et à retenir, comme un refrain, que « c’est toujours la qualité qui fait la différence ».

Mais le groupe « Panzani, aussi ! » a besoin de lui. Deux anciens Directeurs Marketing ont échoué, trois potentiels remplaçants ont déjà refusé de reprendre le poste, Xavier, lui, relève le défi de redressement lancé par la marque. Plus que de compétences, il s’agit là de mental et de personnalité. En témoigne son entretien avec Franck Riboud, et cette question fatidique – mais fatalement rhétorique – que lui pose ce dernier : « Xavier, pensez-vous que vous avez de la chance ? Car si vous n’en avez pas, il faut aller chez le concurrent ». Pas de doute, celle de Xavier est plutôt souriante. Deux ans sous les présages du ciel lyonnais lui suffiront à rendre aux féculents leur pouvoir d’antan. De changements marketing radicaux en nouveaux objectifs – « être la pâte qui tient le mieux à la cuisson » – en passant par le concept de « cuisine des pâtes », pas de doute : avec lui, Panzani envoie la sauce : « C’est une vraie compétition ! La marque n’était que numéro 3 pour les sauces ; en l’associant avec les pâtes, on est devenu leader ! ». Et Xavier Riescher aussi, car dès 2007, la Direction Générale du groupe lui est confiée. Ravi que ses journées tiennent leur promesse de ne jamais se ressembler, il en profite pour remercier ces dix années passées à enseigner le marketing en parallèle de ses activités : « Quand j’ai commencé à l’Université Paris 2, j’avais quasi le même âge que mes étudiants. J’ai joué la proximité, et je ne les ai pas tenus. Puis j’ai été plus sévère, et j’ai finalement trouvé le juste milieu. Cette expérience m’a obligé très jeune à maîtriser une présentation et à tenir un auditoire. En tant que Directeur Général, la principale responsabilité est de conduire des gens au-delà de ce qu’ils pensent pouvoir faire. » Assurément, la capacité à entraîner les autres, celle d’accepter la dureté d’une prise de décision, ne s’apprennent pas au diplôme.

J’ai un cimetière d’innovations qui n’ont pas marché, et d’autres qui ont cartonné. Alors je me dis qu’on peut toujours chercher à aller plus loin.

Tout comme cette solitude qui entoure parfois l’homme face à ses choix : « À l’inverse, j’ai aussi dû apprendre à distinguer l’entreprise de ma sphère privée. Ma femme et mes enfants avaient tendance à me rappeler que je ne décide pas toujours tout à la maison », révèle-t-il en constatant que cette culture de l’exigence a tout de même nettement déteint sur ses quatre chérubins « Ma fille a fini 660ème sur 8000 candidats à son concours d’internat. Elle était très déçue car elle envisageait d’être dans les 200 premières ; mon fils était 10ème sur 2500 pour passer en deuxième année de médecine. Instinctivement, je lui ai demandé pourquoi il n’était pas major ! C’est notre culture familiale ! Moi, j’ai un cimetière d’innovations qui n’ont pas marché, et d’autres qui ont cartonné. Alors je me dis qu’on peut toujours chercher à aller plus loin. ».

Parce que cela fait maintenant vingt ans que Xavier prend soin d’une des quatre marques préférées des Français, il a naturellement accepté de diffuser sa recette du succès dans les couloirs des Universités. Soucieux d’atténuer « le gap » entre l’enseignement technique et le monde de l’entreprise, il fut un temps où Monsieur Riescher quittait même le siège lyonnais pour prendre place au conseil d’administration de l’iaelyon : « Dès que je suis arrivé, j’ai considéré cette école comme une entreprise ! Et comme dans une entreprise, je suis heureux que sa réussite ne repose pas uniquement sur des compétences techniques, mais aussi et surtout, sur des Hommes. Trop souvent, on voit des personnes qui ont fait des « top formations » mais qui ont des carrières limitées, car elles ont une vision trop mécanique du management. Ce que l’iaelyon a bien compris, c’est que la différence, à la fin des fins, c’est ceux qui allient technicité, valeur humaine et débrouillardise qui l’a font. Ceux qui savent décadrer. »

« think large » est le slogan de l’iaelyon, que vous évoque-t-il ?
« Les seules barrières qui existent sont celles qu’on se met dans la tête et notre seul devoir est de penser autrement. Le monde n’est pas une création finie ; il se fait chaque jour. Pour moi, c’est palo-altien ! Cela signifie encore une fois qu’il faut décadrer. »

Et s’il fallait faire le portrait de l’iaelyon ?
« Une adolescente en train de faire sa mue. Elle n’a pas encore complètement choisi son destin, mais elle est pleine de talents et promise à un bel avenir ! »

© TRAFALGAR MAISON DE PORTRAITS – 2017

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