Et si ma mutuelle n’était pas une mutuelle?


En allant au bureau hier matin, j’ai failli emboutir la voiture devant moi en voyant l’affiche en 4 par 3 de la Mutualité Française clamant « Une vraie mutuelle investit 100% de ses bénéfices au service de tous« … Enfin une initiative ambitieuse pour faire de la gouvernance de l’entreprise un élément de différenciation pour les consommateurs! Comme si finalement nos travaux de recherche menés au sein de la chaire Lyon3 Coopération n’étaient pas complètement utopiques, mais pouvaient vraiment faire échos aux questions des managers…

Passé ce moment d’émotion, la campagne en question s’appuie sur un constat bien connu des professionnels de l’assurance: les français se servent du terme générique de « mutuelle » pour désigner leur assurance santé, qu’elles soient des mutuelles ou pas. Dans le cadre de nos travaux de recherche, nous avons mené plusieurs focus groups sur le sujet et constaté que finalement cette polysémie entrainait une confusion dans l’esprit des clients. S’il leur parait naturel que les assurances santé soient basées sur un principe de mutualisation des risques (c’est à dire que ceux qui sont en bonnes santé cotisent pour ceux qui sont malades) la question de la solidarité entre les adhérents et avec la société en générale n’est pas aussi tranchée. Et c’est bien cela qui fait la différence entre une « vraie » mutuelle (une assurance santé gérée selon le code de la mutualité) et une « fausse » mutuelle (gérée comme une entreprise classique).

En effet, la « vraie » mutuelle appartient à ses adhérents, qui sont ses clients comme vous et moi, alors qu’une « fausse » mutuelle de santé appartient à des actionnaires. Par conséquent, les choix d’une mutuelle se font au service de ses adhérents, donc de ses assurés qui s’expriment via un système démocratique. C’est ce qui amène la Mutualité Française à démontrer cette différence au grand public avec cette nouvelle campagne de communication. Arrêtons de prêter à toutes les assurances santé les vertus d’une mutuelle! Cette démarche est importante car elle revendique un mode de gouvernance auprès des clients et également car elle dénigre implicitement les concurrents non-mutualistes qui bénéficiaient jusqu’alors d’un cliché ancré dans l’esprit des français. Si l’éducation fait partie des principes fondateurs des coopératives et des mutuelles, elle reste très peu appliquée et cet exemple de la Mutualité Française lui donne un sens dans la pratique.

Enfin, pas d’angélisme non plus: si la Mutualité Française nous parle aujourd’hui de gouvernance c’est bien pour gagner des parts de marché. Les axes de communication choisis pour éduquer les assurés français ont été sélectionnés pour cela: « Une vraie mutuelle n’exclut personne en matière de santé », « Une vraie mutuelle s’engage dans l’accès aux soins pour tous » et « Une vraie mutuelle investit 100% de ses bénéfices au service de tous ». Ce sont les principes de non-exclusion et de répartition des bénéfices qui sont mis en avant. Pourtant, dans nos recherches sur les coopératives, le principe de non-exclusion n’est pas forcément celui qui est le plus important pour les consommateurs lorsqu’ils choisissent un prestataire, car l’exclusion peut parfois être un signe de qualité. Par exemple lorsque la MAIF affiche ne pas vouloir comme clients les gens qui ne partagent pas leurs valeurs, c’est une forme d’exclusion perçue positivement par les adhérents MAIF. Par ailleurs, le système de répartition des bénéfices d’une mutuelle n’est pas forcément « au service de tous » comme affiché dans la campagne. En effet, la répartition des bénéfices se fait entre les adhérents et selon une décision démocratique. La première façon de répartir les bénéfices dans une coopérative ou une mutuelle c’est de diminuer les prix en cas d’exercice bénéficiaire puisque les adhérents sont tous des clients ou de proposer des primes (appelées ristournes au Canada par exemple). La deuxième solution est de reverser une partie des bénéfices à des actions de solidarité sur le territoire de vie des adhérents.

Visiblement la Mutualité Française, lorsqu’elle parle de « tous » s’inscrit dans cette deuxième conception. Pourtant, puisqu’elle s’est donné un rôle éducatif pour repérer une « vraie » mutuelle, il est erroné de penser qu’il est plus dans les gènes d’une mutuelle que d’une compagnie d’assurance classique de soutenir des actions de solidarité. Pourquoi ne pas mener la démarche de réflexion autour des mutuelles à son terme en assumant finalement un principe de répartition des bénéfices en faveur des adhérents et ainsi des prix réduits en fin d’année en fonction des performances de l’exercice ? Cela permettrait de concilier prix bas et qualité de l’offre, ce qui devrait faire une vraie différence pour les clients des « vraies » mutuelles cette fois-ci !

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