Dinkala Kwansa : « Tant que je n’ai pas essayé, personne ne pourra me dire que je ne peux pas le faire »

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Àquelques heures de reprendre son avion pour Oslo, où elle vit, Dinkala s’apprête à exprimer d’où elle vient. De sa naissance à Kinshasa à son arrivée dans le quartier « vivant et coloré » de la Guillotière, elle se souvient de cet envol qui l’a un jour poussée à prendre un billet sans retour.

Si elle a longtemps foulé le pavé lyonnais, les rues qui l’ont vue gagner en dynamisme lui jouent encore des tours. Dès son arrivée, l’aveu est fait : « J’ai un très mauvais sens de l’orientation ». Le comble, sans doute, pour cette femme en quête de sens qui a veillé à ne jamais s’égarer. Hasard ou non, « Le premier mot que j’ai appris en norvégien, c’est le mot « créneau », car je ne suis pas non plus une très bonne conductrice », ajoute-t-elle en riant. Et pourtant, lorsqu’il s’agit d’actionner la pédale d’accélération, sa conduite est, là encore, irréprochable : « Depuis trente deux ans, je mène mon petit bout de chemin, ou plutôt, je trace ma route. Je ne sais pas où elle ira, mais en tout cas j’avance ». L’aînée de la famille voit loin. En guise de carte routière, elle garde près d’elle les mots de ses parents – « Dinkala, seule la mort te stoppera » – et dans son rétroviseur, cette note d’Oscar Wilde qui en dit long sur sa ténacité et son aplomb : « Nous sommes tous nés dans le caniveau, mais certains d’entre nous regardent les étoiles ». Férue de science et de nouvelles technologies, en s’accrochant solidement à sa branche, elle n’a pas laissé filer son voeu d’avoir un parcours brillant.

À seize ans, Dinkala était « une petite geekette ». En plus d’apprendre à coder, cette fan de manga et de bande dessinée, tient déjà un site internet sur Les Chevaliers du Zodiaque. Quand la jeune femme, qui a toujours rêvé de travailler dans l’informatique, obtient son baccalauréat scientifique, son dessein semble tout tracé. Avec une Licence Mathématiques, Sciences et Technologies et un Master Méthodes Informatiques à la Gestion des Entreprises, l’heureuse diplômée est rapidement recrutée par la société Capgemini : « J’ai gardé cinq ans cet emploi, parce que je voulais voyager et qu’il m’offrait cette opportunité. Dans le conseil, tout ce qui est lié au développement est “out sourcé” ; on est donc souvent amené à travailler aux côtés d’autres employés à l’étranger », précise la consultante en nouvelles technologies. Un investissement qui renforcera son goût de l’ailleurs et lui permettra de s’offrir la redécouverte de l’Afrique noire comme de l’Inde, libérée ou presque, de toute exigence professionnelle : « J’avais préparé tout mon parcours. Même en vacances, je suis du genre à faire des listes et à tout programmer en avance », plaisante-t-elle. Dans la longue « check list » de ses objectifs, l’envie de découvrir « l’Europe et le monde » se distingue nettement. Pour ce faire, elle se lance le défi de compléter sa formation « très scientifique » par un MBA : « Quand on est jeune, on ne se rend pas vraiment compte de la manière dont on peut appliquer dans la vraie vie tout ce qu’on a appris. J’ai voulu retourner à l’école pour faire une mise à jour et penser mon avenir, au- delà de ma spécialisation ». Déjà attirée par le large réseau de partenaires et la « très belle réputation » de l’iaelyon, elle découvre les avantages d’un programme qui lui permet d’étudier, tout en conservant son emploi.

L’iaelyon forme des hommes et des femmes au-delà de l’aspect professionnel et apprend à réfléchir sur soi

De nouveau sur les bancs de l’Université, l’étudiante rigoureuse n’a rien perdu de son exigence ni de son assiduité : « Je n’ai jamais manqué un jour de classe ni de travail. La dernière fois que je suis tombée malade, j’avais quinze ans et j’y suis quand même allée ». Assumant les défauts de ses qualités et son côté « ultra perfectionniste », Dinkala vit une année « intensive » qui lui réclame d’avoir un esprit agile pour apprendre à « jongler ». Non, sa mention très bien n’est pas une question de talent. Seule importe la capacité à s’investir intellectuellement et personnellement : « J’ai appris à me connaître et à accepter les différences d’exigences. C’est en cela que l’iaelyon se différencie. Elle forme des hommes et des femmes au-delà de l’aspect professionnel et apprend à réfléchir sur soi ». Un exercice rude, mais passionnant, compte tenu de la diversité de profils dont elle est entourée : « Dédicace à mes camarades de promo’ qui sont toujours mes amis aujourd’hui. Joël, Laurielle, Catherine, Mathias, Alexis… » La liste est longue et à compléter. Mais si cette année lui a également permis de développer son sens critique, le visage de Dinkala s’assombrit sitôt qu’elle témoigne de son « extrême conscience sur le monde actuel » : « J’avoue que j’ai un perdu espoir en l’humanité. Le monde des adultes est une arnaque ! Enfin j’exagère un peu, mais c’est vrai que je suis déçue. On vit une époque où on peut voyager, rencontrer les autres, mieux comprendre les différences, et certains restent encore enfermés dans leurs préjugés… Je reproche aussi aux études en France d’être trop focalisées sur ce qui se passe dans leur pays. Dans le MBA, on apprenait les différences culturelles, comment ces différences influencent le business et la personnalité… Juste pour cela, j’aimerai donner les moyens à chacun de pouvoir voyager et de passer du temps ailleurs. »

Les valises de connaissances de Dinkala peinent à fermer. Il le faut pourtant, car son compagnon de vie éprouve lui aussi l’envie de quitter Lyon pour retrouver son pays natal, la Norvège. Certes, un employeur ne tarde pas à lui répondre favorablement, mais le fait qu’elle ne parle pas la langue reste pour lui rédhibitoire : « Je parlais très bien l’anglais, la langue de travail, mais pour l’intégration, il fallait obligatoirement parler norvégien ». Ce refus, l’exsportive de judo haut niveau se le remémore comme son « plus gros échec professionnel ». Mais plutôt que de se morfondre, Dinkala prévient sa combativité qu’il va falloir retrousser ses manches, rejoint la Norvège et se donne six mois soutenus pour parler couramment norvégien : « Je suis du genre à penser que je peux tout faire, même réparer une voiture alors que je suis vraiment nulle ! Mais tant que je n’ai pas essayé, personne ne pourra me dire que je ne peux pas le faire. » Un pari osé mais réussi puisqu’au bout de ces six mois, son CV et sa lettre de motivation entièrement écrits dans la langue officielle, ravivent les souvenirs de la société qui l’avait jadis refusée : « Le même employeur m’a dit : “votre profil est toujours très intéressant, mais qu’est-ce qui a changé ?” Je lui ai répondu en norvégien : “je parle couramment la langue maintenant” », raconte fièrement Dinkala.

Enfin embauchée chez Accenture en tant que consultante en management, la nouvelle chargée de clientèle numérique se félicite d’ailleurs d’avoir trouvé un encadrement qui lui correspond : « Il y a moins de hiérarchie et mes responsabilités se prennent à la racine. Au niveau du rythme, je ne travaille pas moins qu’en France, mais plus efficacement. Je commence plus tôt, je finis plus tôt ». Un emploi du temps idéal, donc, pour courir au bord du lac, skier en ville, profiter du sauna flottant dans le port d’Oslo ou encore poursuivre à distance son engagement bénévole au sein de Money Diaspora. Une association chère à Dinkala, qui soutient les projets entrepreneuriaux en Afrique et s’attache à créer des liens entre la France et ses anciennes colonies : « Même si je me sens plus française à Oslo qu’à Lyon, je serai toujours un lien entre la France et le Congo. Comme le dit mon copain, je suis un peu schizophrène ! Parfois très française, parfois très congolaise… J’aimerais continuer à m’intégrer au maximum en Norvège, mais je n’ai pas envie de développer une autre schizophrénie ! », plaisante la quintilingue qui pourrait largement s’inquiéter de parler français, espagnol, norvégien, lingala et anglais. Et pourtant, c’est dans une tout autre langue que Dinkala s’exprime avant de nous quitter : « En fait, cette niaque de réussite, je crois que je la dois à mes parents… Ils ont vécu des choses difficiles, ont dû immigrer, laisser leur travail alors qu’ils étaient hautement diplômés… On n’est pas très démonstratifs dans la famille, et je n’ai jamais su les remercier. Alors si je pouvais profiter de ce portrait… » Cette langue timide et complexe qui ne s’apprend nulle part, j’ai nommé la langue du coeur.

« think large » est le slogan de l’iaelyon, que vous évoque-t-il ?
« Dans le MBA, on est forcé de rencontrer des gens d’ailleurs, alors l’ouverture d’esprit sans hésiter !»

Et s’il fallait faire le portrait de l’iaelyon ?
« Une femme un tout petit peu bordélique, mais qui le sait. Une femme festive, joyeuse, qui connait beaucoup de monde et surtout qui réussi ! »

© TRAFALGAR MAISON DE PORTRAITS – 2017

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