Mouvement coopératif : un ancien modèle des plus actuels


La coopérative ? Toute une histoire ! On fait remonter son apparition au 19e siècle. Certains même à l’Égypte Antique. Et pourtant, elle est toujours d’actualité, s’affichant comme l’antithèse du capitalisme débridé… sans pour autant rejeter les fondements du libéralisme.

La première coopérative de production a été créée en 1834 par quatre ouvriers parisiens qui fondèrent L’Association chrétienne des bijoutiers en doré. A la même époque, à Lyon, la première coopérative française de consommation était mise sur pied. Sonia Capelli, professeur en marketing à l’iaelyon et responsable scientifique de la chaire Lyon 3 Coopération, explique : « Pour les canuts lyonnais au 19e siècle, l’idée était de se regrouper pour acheter moins cher les produits de première nécessité. La création du Crédit Agricole relève de la même logique, combler un manque : les paysans ont décidé de créer leur propre banque pour avoir accès au cré-dit. » Depuis, le mouvement coopératif a bien changé. Initié par des personnes de condition modeste désirant se protéger des difficultés auxquelles elles devaient faire face en tant que travailleurs, clients ou fournisseurs, ou afin d’accéder à des marchés dont elles étaient exclues du fait de leurs faibles ressources, il a été à l’origine de grandes entreprises, dans la banque (Crédit Agricole, Crédit Mutuel, Banques Populaires, Caisses d’Épargne…), l’industrie agroalimentaire (Terreos, Limagrain) ou la grande distribution (Super U, Biocoop, E.Le-clerc). Sonia Capelli rappelle qu’actuellement, « 60 % de la banque de détail française et 40 % des industries agroalimentaires relèvent du mouvement coopératif ». Ainsi, la France est devenue le premier pays coopératif en Europe, totalisant 1,26 million de salariés et 27 millions de sociétaires ! Et le mouvement ne s’essouffle pas. Il a, par exemple, trouvé sa place sur le marché libéré de l’énergie, notamment dans des projets de production d’énergie renouvelable. Ainsi, Enercoop s’est positionnée sur la distribution d’électricité verte : créée en 2005 par des ONG (Greenpeace, Les Amis de la Terre, Hespul, le Cler) et les coopératives Biocop et la Nef, elle compte plus de 40 000 sociétaires et livre aujourd’hui 70 000 particuliers, professionnels et collectivités.

Intelligence collective

En Auvergne-Rhône-Alpes, Limagrain constitue un cas d’école depuis sa créa-tion en 1965. Les jeunes agriculteurs qui en sont à l’origine ont alors fait un pari entrepreneurial en développant leurs propres semences de maïs précoces, sur la base de ce qu’ils avaient observé aux États-Unis en matière d’hybridation. En quelques décennies, une politique ambitieuse de recherche et développement va faire de Limagrain, qui conserve toutes ses forces vives au pied des volcans d’Auvergne, le challenger des plus grands semenciers mondiaux qui sont tous, quant à eux, des chimistes (Dow, Syngenta, Bayer-Monsanto…). Avec ses 2 000 exploitations agricoles adhérentes, 10 000 salariés, plus de 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires dont 77 % réalisés hors de France, et 15 % des ventes consacrées à l’innovation, Limagrain est devenu un acteur majeur des céréales et plantes potagères (Vilmorin, HM Clauze). Leader mondial en tomates, carottes, melons et choux-fleurs, sur le podium international pour les haricots, courgettes et poivrons, la coopérative s’est même invitée dans l’aval de la filière, à travers ses usines qui fabriquent les pro-duits de boulangerie-pâtisserie Jacquet et Brossard. Mais elle n’a jamais renié ses idéaux originels :

Nous sommes une société de personnes et non de capitaux. Nos actionnaires sont associés, clients et fournisseurs (…). Comme dans toute coopérative, le principe fondateur est : un homme = une voix. Chaque associé a le même pouvoir quel que soit le nombre de parts sociales détenues.

Les coopératives en progression

Incontestablement, la dernière décennie a joué en faveur du modèle coopératif. En France, le nombre de salariés de structures coopératives a augmenté de 3 % entre 2014 et 2018, poursuivant une hausse constante depuis 2008. Sonia Capelli donne une explication : « La crise financière de 2008, ajoutée aux crises alimentaires et au mal-être paysan, a sensibilisé la population à ce modèle, a priori plus respectueux et davantage attaché à son territoire. En France, ce retour en grâce repose sur l’affirmation de valeurs, la recherche de sens davantage que sur le besoin de lutter contre la pauvreté, comme cela a pu être le cas dans le Brésil de Lula ou au Portugal. »
La grenobloise Alma (10 millions d’euros de CA 2018 ; plus de 130 personnes), société coopérative de services numériques, illustre le propos. A l’occasion de son 40e anniversaire en 2019, une concertation impliquant l’ensemble des collaborateurs a été organisée pour dessiner l’avenir de l’entreprise. « Nous avons besoin de nous redonner un objectif partagé, nourri par du sens, et de co-construire notre avenir », explique Laurence Ruffin, sa présidente. Pérenniser un certain es-prit de travail, se remettre en question, parler innovation technologique, consolider son indépendance ou faire émerger de nouvelles idées et de nouveaux responsables au sein des équipes… tous les salariés, qui deviennent associés après un an de présence, sont appelés à dé-battre. Ils donneront aussi leur avis sur les 7 000 m2 en cours d’acquisition près des locaux actuels : faut-il construire un bâtiment pour héberger des sociétés à compétences complémentaires, une pépinière… ou autre chose ? Deux sessions de travail se sont tenues, avec réflexion de groupes et restitution en plénière. Des interviews individuelles ont aussi été menées avec les collaborateurs peu à l’aise en public. L’objectif est d’arriver, fin 2019, à la rédaction d’une feuille de route à cinq ans, avant que Laurence Ruffin ne pose sa candidature pour un nouveau mandat de pdg.

Les valeurs restent le socle des coopératives

C’est aussi sur les valeurs qu’insiste Raphaël Appert, directeur général du Crédit Agricole Centre-Est. Après avoir rêvé d’être une banque « comme les autres » et pris modèle dans les an-nées 1980 sur des établissements privés classiques, le Crédit Agricole affiche aujourd’hui fièrement ses couleurs coopératives. La crise de 2008 n’y est, effectivement, pas pour rien. Alors que l’opinion publique accusait alors « les » banques d’avoir agi de façon irresponsable, le monde coopératif bancaire s’est senti injustement visé. Quoi de commun entre le responsable d’une agence bourguignonne et un trader new-yorkais ? « Outre la nécessité d’expliquer nos métiers à nos clients, il nous a paru important de réfléchir sur notre vraie nature de banquier coopératif, sur notre utilité sociétale, sur nos fondements mêmes », explique Raphaël Appert.
Les réponses sont aujourd’hui très claires. « Année après année, et les chiffres sont là pour le prouver, nous démontrons que la performance sociétale génère la performance économique. Nos valeurs sociales sont au nombre de trois : la proximité, la solidarité et la responsabilité. Nous sommes au service de tous nos territoires et tous les clients nous intéressent, sans exception ; nos décisions sont prises localement pour soutenir des projets humains. » Début juin 2019, le groupe Crédit Agricole présentait un plan à horizon 2022 qui exprimait pour la première fois, formellement, sa raison d’être :

Agir chaque jour dans l’intérêt de nos clients et de la société.

Un fondement davantage qu’un slogan, intégrant également le projet d’une croissance rentable.

Certes, la dynamique du monde coopératif ne doit pas faire oublier son poids encore relativement faible dans l’économie nationale : 5,5 % de l’emploi salarié en France. Sonia Capelli reconnait que « d’une façon générale, le modèle coopératif reste peu mis en valeur, y compris dans le monde de l’enseignement. Par exemple, alors que les incubateurs de start up sont désormais légion, ceux qui sont dédiés aux coopératives sont beau-coup plus rares. »

L’alliance de l’économie et de la démocratie

Mais de nouvelles initiatives apparaissent régulièrement, notamment en région Auvergne-Rhône-Alpes. Il y a une dizaine d’année, Transméa constituait ainsi une première nationale : créé par plusieurs acteurs coopératifs (Urscop, Crédit Coopératif, Macif, Socoden, Sep, Nef) et soutenu par la Région, cet outil financier soutient en fonds propres des projets de reprise d’entreprises par leurs salariés. Il affiche aujourd’hui 54 interventions en capital dans des entreprises de quinze salariés en moyenne, pour un ticket moyen de 75 000 euros. Grâce à un dispositif d’accompagnement et de mise en réseau des repreneurs, le taux de pérennité des reprises soutenues pas Transméa est de 82 %. Dix ans, c’est aussi l’âge de Graine de Sol, une coopérative d’accompagnement à la création d’activité qui compte quant à elle 67 associés. De jeunes acteurs qui perpétuent l’aventure de la coopération en pariant sur l’alliance de l’économie, de la démocratie participative et du service à la société.

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