Dans l’œil d’un sociologue

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Le 13 juin dernier, le sociologue Michel Offerlé donnait une conférence issue de l’ouvrage collectif qu’il a dirigé en 2017, intitulé Patrons en France.

Tout le monde a son idée sur les patrons. Voire une mauvaise opinion, comme 62 % des Français qui jugent les grands patrons « méprisants » et « autoritaires » (sondage réalisé en mars dernier par Odoxa-Aviva pour Challenges et BFM). « Le patronat est à la fois connu et méconnu », pré-vient Michel Offerlé en ouvrant sa conférence. Le sociologue a d’abord analysé les organisations professionnelles, avant de passer au crible les « métiers » dans Patrons en France, l’ouvrage collectif qu’il a coordonné en 2017.

Une catégorie diversifiée

La sociologie s’était peu intéressée à eux, dit-il. Avec des étudiants et confrères, nous avons mené des centaines d’entretiens, sur leur histoire de vie, leur formation, leur métier, mais aussi leurs goûts ou leurs valeurs… Le plus grand dirigeait 100 000 salariés, le plus petit, aucun. »

Résultat : « le patron ventru, avec haut-de-forme et cigare » a vécu. Et les quelque deux millions de dirigeants de France (dont 170 000 pilotent une entreprise de plus de dix salariés) représentent une catégorie sociale très diversifiée.

Parmi eux, 40 % sont fils d’ouvriers ou d’employés. « Mais, précise Michel Offerlé, plus on monte dans la hiérarchie, plus il y a une reproduction sociale. » C’est une population plutôt âgée – 37 % ont plus de 50 ans – et « en voie de féminisation », avec 25 % de femmes. « Et surtout, elle est très étirée au niveau des diplômes : des autodidactes aux détenteurs d’un CAP, jusqu’à des bac+5 ou +10. » Cette forte diversité se retrouve dans les pratiques culturelles – du passionné d’opéra au fan de séries télévisuelles -, comme dans les revenus, relève encore le chercheur, « avec des patrons qui ne se payent pas et d’autres qui gagnent des fortunes ».

Du paternalisme à la distance

Multiple, l’identité patronale se définit en partie par la négative, « par des adversaires ou des dégoûts communs, note Michel Offerlé. Mais celle-ci s’exprime plus ou moins frontalement selon que l’on dirige une entreprise du CAC 40 ou une PME. » La liste est longue des objets de mécontentement des patrons : rap-port à l’Etat ou à l’Urssaf, inspection du travail, fonctionnaire (tour à tour « inspecteur » ou « fainéant »), syndicats (sur-tout la CGT), crainte des Prud’hommes, banquiers…

« Il y a aussi la complainte vis-à-vis des salariés », complète le sociologue. Les patrons de PME se plaignent de « ne plus trouver de jeunes qui ont envie de travailler »… Ceux du CAC 40 ne trouvant pas assez de « soft skills chez les candidats »… Mais le rapport avec les salariés varie beaucoup selon la taille de l’entreprise. « Certains, à la tête d’une PME, sont hommes orchestre, experts dans leur profession et pilotes d’une équipe mais ne souhaitent pas diriger une ETI, analyse le sociologue. Parmi eux, quelques-uns assument leur rôle de chef, quand d’autres revendiquent une forme de paternalisme, et peuvent aller loin dans l’aide à leurs salariés, en cas de handicap ou de deuil »… Plus la taille de l’entreprise augmente, moins le patron est en prise directe avec le social, poursuit le chercheur, « Il transmet souvent aux RH le « sale boulot » dans la gestion du personnel. Le dirigeant d’un groupe de 50 000 salariés connaît au maximum 200 personnes. »

L’argent, la créativité, le produit

Le plaisir de l’entreprise ? L’argent, pour certains.

Mais pas seulement, plaide le sociologue. D’autres se passionnent pour leur produit, évoquent la réalisation de soi, la créativité. Avoir du pou-voir sur les autres et sur le monde social est sûrement aussi une motivation.

Mais, devant le sociologue au moins, beaucoup préfèrent parler de la compétition, évoquant « l’esprit d’entreprise à la française », avec cette idée que « nous sommes en train de devenir une nation d’entrepreneurs, qui développe un discours fort et un désir d’entrepreneuriat »… Cela pouvait aussi concourir au renouvellement de la figure du patron.

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Sondage réalisé en mars dernier par Odoxa-Aviva pour Challenges et BFM.