Quelles entreprises pour les nouvelles générations ?


Y, Z… l’arrivée des nouvelles générations dans l’entreprise bouscule les codes, la façon d’envisager le travail… et la vie. Pour rester attractives, les entreprises doivent s’adapter, d’autant plus que la baisse du chômage se confirme… et qu’une nouvelle dynamique entrepreneuriale s’empare de la société.

Maître de Conférences en Gestion des Ressources Humaines, Chloé Guillot- Soulez s’était penchée sur les attentes de la génération Y (millenials, nés entre 1980 et 2000) à travers une étude menée en 2010 auprès d’étudiants (1). Parmi les souhaits émis pour leur futur emploi, on retrouvait, certes, une bonne ambiance de travail et la recherche d’un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Mais on les découvrait aussi très attachés au CDI. Chloé Guillot-Soulez explique : « Les jeunes sont prêts à s’investir… mais pas à n’importe quel prix. Ils attendent que l’entreprise s’engage, elle aussi. La peur du chômage était aussi bien présente. » Cependant, les réponses n’étaient pas homogènes. Et parmi les profils types, on avait aussi de jeunes carriéristes.
Aujourd’hui, Chloé Guillot-Soulez met en garde contre les idées reçues. « La question de la génération n’est pas la bonne clé d’entrée. Tous les profils se retrouvent dans la jeunesse actuelle. La vraie question est celle de l’évolution de la société, comme l’illustre par exemple la montée en puissance du télétravail. Les changements viennent davantage de l’évolution des technologies et des innovations que d’une génération. » Ce qui ne signifie pas, bien sûr, que la jeunesse n’a pas d’influence. Elle dit souvent tout haut ce que les générations précédentes gardaient pour elles. Et, alors que la génération en place avait toujours transmis les savoirs, c’est la jeune génération qui peut aujourd’hui apprendre à ses aînés, notamment via les outils numériques qu’elle maîtrise mieux.
Marie-Christine, Professeur des Universités, apporte elle aussi un regard critique sur les clichés concernant les jeunes générations : « Attention, elles restent encore très attirées par les grandes entreprises qui apparaissent plus sécurisantes. Et quand les étudiants sont en stage dans des start-up très séduisantes de prime abord, babyfoot à l’appui, ils sont souvent très déstabilisés face à une réalité quotidienne qui exige une très grande autonomie dans le travail, à laquelle ils ne sont pas habitués. Autre observation : à partir d’une certaine taille, les start-up en réussite finissent par recruter… des cadres seniors ! Ce qui montre bien que l’entreprise respire mieux quand elle est composée de plusieurs générations et ne peut pas raisonner uniquement en fonction de la génération Y

La marque employeur, une réponse

La question du « sens » (du travail, de la vie) n’est pas non plus l’apanage des jeunes générations. « La vraie question est de savoir si nous avons les bons managers pour gérer ces changements », estime Chloé Guillot-Soulez.
Dans ce contexte, la marque employeur est une réponse aux interrogations des millenials… et des autres. Le terme définit les conditions proposées par une entreprise à ses salariés : économiques (rémunération), fonctionnels (conditions de travail, mobilité, formation) et symbolique (valeurs). Dans un monde où la réputation peut être faite ou défaite à vitesse grand V à travers les réseaux sociaux, la marque employeur est un enjeu important pour les entreprises quand il s’agit d’attirer les meilleurs collaborateurs. « Mais en réalité, elle est surtout liée aux tensions sur le marché du travail. Sur la population des cadres, par exemple, dont le taux de chômage est faible, la question de l’attractivité est devenue très importante. » Le raisonnement touche particulièrement les secteurs « qui ne font plus rêver » et les métiers en tension (l’industrie, la banque, l’expertise-comptable, etc.), de même que les PME, en manque de notoriété.

Respecter la promesse

Le développement des labels employeurs, comme Great place to work, est symptomatique de l’importance accordée désormais à la marque employeur. Pour les entreprises, pouvoir arborer un tel label est un gage de bonnes conditions de travail et un atout indéniable pour celles qui recrutent. Leur image et leur prestige en sortent renforcées, notamment dans le milieu étudiant (2).
Mais attention, avoir une belle marque employeur n’est pas suffisant. Chloé Guillot-Soulez met en garde : « Une fois obtenu un label, il est très important de tenir la promesse qu’il représente. Si ce n’est pas le cas, il y a rupture du contrat psychologique avec les collaborateurs, et cela peut générer une baisse de motivation voire une augmentation de l’absentéisme. » La marque employeur est un véritable engagement.

Étudiants : de nouveaux entrepreneurs

Pierre Poizat anime l’incubateur universitaire Manufactory depuis sa création il y a quelques années. Il confirme sa montée en puissance : « De quelques projets, nous sommes passés à une trentaine de start-up accompagnées chaque année. Nous proposons trois dispositifs de soutien, correspondant à autant de niveaux de maturation des projets : « Start » pour ceux qui n’ont encore qu’une idée et doivent démontrer une attractivité marché ; « Up » pour ceux qui maîtrisent leur proposition de valeur et doivent développer leur stratégie ; et « Pro » pour ceux qui sont en phase de croissance. Les deux premiers dispositifs sont gratuits, le troisième payant (environ 600 euros par mois). »
Le manager reconnait une tendance dans la nature des projets portés par les étudiants.

« Ils sont de plus en plus nombreux à reposer sur des valeurs très actuelles : le respect de l’environnement ou des enjeux sociétaux en général. Exemple type : Cyclik, qui propose des vélos haut de gamme dont le cadre est réalisé en bambou ! Son dirigeant veut relancer l’exploitation de bambouseraies en France. Autres exemples ? La Belle Bouse (produits fertilisants naturels), Cosmoz (cosmétiques bio à base de miel de Manuka) ou encore Hunza, une plateforme de colocation intergénérationnelle. »

Une dynamique plus inclusive et plus féminine

Marie-Christine Chalus, Professeur des Universités, souligne quant à elle le caractère inclusif de l’incubateur, lequel accueille des étudiants de toutes origines sociales. « On observe aujourd’hui une vraie dynamique entrepreneuriale autour de l’inclusion. Manufactory est un exemple. Il y en a d’autres, comme l’incubateur Singa, présent à Lyon et créé pour les personnes issues de l’immigration, en particulier les femmes. »
Femmes et création d’entreprise, voilà un autre aspect de la diversité (lire notre encadré ci-contre). Marie-Christine Chalus connaît bien le sujet, elle qui a créé la sienne et a fait partie du réseau Femmes Business Angels. « Les créatrices d’entreprise s’intéressent davantage aux sujets à impact environnemental ou social que leurs homologues masculins. Dans la gestion, elles seront aussi plus à l’aise dans le compromis, moins dans le challenge pur. Elles doivent aussi dépasser deux plafonds de verre qu’elles s’imposent souvent à elles-mêmes : celui du « Je n’y arriverai pas » et celui, central, de l’équilibre vie de famille/vie professionnelle. » Une autre dimension du fameux « sens » recherché par les collaborateurs… et les dirigeants.

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(1) Guillot-Soulez C., Sainte-Onge S. et Soulez S. (2019) : « Exploration des liens entre la communication de labels employeurs dans les annonces de recrutement, le mode de gouvernance et l’attractivité des organisations aux yeux des candidats », Recherche et Applications en Marketing, vol. 34, n°3, pp 6-32.

(2) Soulez S. et Guillot-Soulez C. (2011) : « Marketing de recrutement et segmentation générationnelle : regard critique à partir d’un sous-segment de la génération Y », Recherche et Application en Marketing, vol.26, n°1, p.39-57.