Alors que beaucoup d’entre-elles sont allées chercher des fournisseurs, des produits et des clients au bout du monde, certaines entreprises se tournent désormais vers les territoires voisins et les acteurs de proximité. Une nouvelle économie, plus frugale et locale, voit le jour sous la pression des questions environnementales.
Comment l’environnement peut-il ouvrir la voie à la performance des entreprises ? C’est une des questions aux-quelles tente de répondre le CIRIDD (Centre International de Ressources et d’Innovation pour le Développement Durable). « En une dizaine d’années, la conscience écologique a donné naissance à une volonté d’engagement de la part de responsables économiques qui se sentent pleinement citoyens. Les entreprises ont compris qu’elles doivent réinventer leur business model pour respecter l’environnement. Nous les aidons à développer de nouvelles pratiques », explique Denis Cocconcelli, directeur du CIRIDD.
Écologie industrielle et valeur territoriale
C’est le cas avec l’économie de la fonctionnalité. Il s’agit alors de passer de la vente d’un bien physique à une offre de service garanti et performant : les clients ne sont plus propriétaires mais usagers, comme d’une voiture ou d’un vélo qu’on n’achète plus mais qu’on utilise quand on en a besoin. « On passe d’une relation client-fournisseur basée sur l’équation coût-qualité-délai à une logique d’engagement de service dont la conséquence immédiate est le choix porté sur des produits qui doivent durer et sur le développement d’emploi qualifié au plus près des clients », poursuit Denis Cocconcelli.
Deuxième piste : l’économie circulaire et l’écologie industrielle et territoriale. Illustration à travers l’exemple d’Evian : l’entreprise veut préserver les espaces de captation de l’eau, sur lesquels on recense des activités agricoles. Afin d’aider les agriculteurs à se passer d’intrants chimiques, elle a décidé d’investir, avec les collectivités locales, dans un méthaniseur qui traite les effluents agricoles, permettant un épandage de boues naturelles sur les terres avoisinantes tout en produisant du biogaz. Autre exemple à la plateforme chimique de Roche-Roussillon, dans la Vallée du Rhône, qui accueille une quinzaine d’industriels : les sous-produits ou déchets des uns servent de ressources matières aux autres. Ces synergies peuvent aussi créer des emplois voire générer de nouveaux services à la population voisine (distribution de chaleur fatale issue des process industriels, par ex.). D’effets industriels négatifs, on passe à des externalités positives pour le territoire.
Muriel Maillefert, professeur en Aménagement et Urbanisme à l’Université Jean Moulin, parle quant à elle de valeur territoriale (1). Elle cite l’exemple de Gecco, porteuse d’un projet de transformation d’huiles usagées en biocarburant, à Lille : « Cette entreprise incarne un nouveau modèle économique territorial collaborant avec une multitude de parties prenantes : restaurateurs, friteries, multinationale (Mac Cain), Ville, Métro-pole, Région, acteurs de l’économie sociale et solidaire (…), des acteurs divers visant à répondre collectivement aux enjeux climatiques et sociaux. »
Des jeans made in France
A l’iaelyon, Catherine Mercier-Suissa a quant à elle mené des recherches sur des initiatives d’entreprises favorisant la proximité tout en diminuant l’impact environnemental de leurs activités. Le fabricant de jeans 1083, installé dans la Drôme, en est une bonne illustration (2). Son dirigeant-fondateur a fait le pari de produire ses jeans dans un rayon de 1 083 kilomètres (la distance la plus grande entre deux communes du territoire français métropolitain), alors « qu’un jean parcourt jusqu’à 65 000 kilomètres lors de sa fabrication ». Proximité des fournisseurs, matières utilisées provenant de cultures bio : les valeurs écologiques de 1083 sont déclinées tous azimuts. Après trois ans de R & D, la société a mis au point le recyclage de la fibre du coton de jeans usagés pour en fabriquer de nouveaux. En attendant, pour 2020, des jeans consignés et fabriqués à partir de bouteilles de plastique recyclé.
L’entreprise drômoise a jusqu’à présent créé 65 emplois.
Même s’il est encore marginal, le cas de 1083 est révélateur d’un état d’esprit qui change : son dirigeant veut donner du sens à l’activité qu’il développe, conclut Catherine Mercier-Suissa. Et il n’est pas le seul.
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(1) Muriel Maillefert et Isabelle Robert :
« Nouveaux modèles économiques et création de valeur territoriale autour de l’économie circulaire, de l’économie de la fonctionnalité et de l’écologie industrielle ». Armand Colin, Revue d’Économie Régionale et Urbaine, décembre 2017.
(2) Catherine Mercier-Suissa et Magdalena Godek-Brunel : « 1083-Borne in France, illustration de la théorie entrepreneuriale de l’effectuation ; création d’une entreprise « made in France » éco-responsable ». © CCMP 2018.