Déterminants des relocalisations pour la PME


La déspécialisation dans un secteur n’est pas irréversible… en témoigne les relocalisations et la fabrication « made in France » dans des secteurs jugés perdus.  Ainsi la PME Modetic, avec sa marque 1083, développe une production de jeans et de chaussures « Made in France » à Romans (cf : France 3 Rhône-Alpes, interview : 1083, une marque « made in France » ; 3 vidéos), Gantois a relocalisé dans les Vosges (Mercier-Suissa et Bouveret-Rivat, 2012), Easybike en Haute-Normandie (Mercier-Suissa et Dominguez, 2014), ATOL a relocalisé sa production de lunettes dans le Jura… Mais le phénomène reste marginal par rapport aux mouvements de délocalisation : chaque vague de délocalisations est suivie de quelques cas de relocalisations. Selon différentes études en Europe comme aux États-Unis, il y aurait, en moyenne, un cas de relocalisation pour vingt cas de délocalisation. Seule une étude ancienne, publiée en avril 2008, par l’Institut Fraunhofer pour la recherche en innovation indiquait qu’une entreprise sur 11 dans le secteur de l’industrie manufacturière en Allemagne avait choisi en 2004 et 2005 de délocaliser sa production à l’étranger. D’après une enquête basée sur un panel de 1 700 PME, elles étaient une sur 8 en 2002 et 2003 à relocaliser. « Au moins 20% des unités de production délocalisées en 2000 et 2001 ont été ramenées en Allemagne », expliquait le Président du VDI (Association des ingénieurs allemands), Bruno Braun. Steffen Kinkel, chercheur au Fraunhofer Institute for Systems and Innovation Research, a étudié en Allemagne dans certains secteurs de l’industrie manufacturière cette tendance. Depuis l’an 2000, ce sont plus de 3 500 entreprises de l’industrie des métaux et de l’industrie chimique qui ont relocalisé en Allemagne en raison de surcoûts qui ont mal été anticipés. « En règle générale, entre un quart et un cinquième des délocalisations sont de retour deux ans après leur départ » estime le chercheur.

Partir, puis revenir ….

Les déterminants de ces relocalisations sont désormais bien connus. De nombreuses études empiriques basées sur des études de cas (Mercier-Suissa et Bouveret-Rivat, 2009, 2013 ; Chanteau et al., 2011 ; Coris et al. 2013, El Mouhoud, 2013) ont montré que les entreprises relocalisaient d’une part pour mieux répondre à leur demande finale, lorsque celle-ci est située dans leur pays d’origine (proximité avec cette demande, pour avoir une meilleure réactivité et pour soigner leur image de marque) et d’autre part, pour des raisons liées à une sous-estimation du coût de l’éloignement. Cette sous-estimation des coûts de l’éloignement renvoie bien souvent aux conditions de production qui ont évolué défavorablement dans le pays d’accueil. Ainsi, la hausse des salaires locaux et la faiblesse de la productivité du travail dans le pays d’accueil, la suppression des subventions, la baisse de la qualité des produits fabriqués ou des services proposés, la hausse des coûts de contrôle (contrefaçon, pertes, vols etc.), et la hausse des coûts de transport et des délais de livraison sont autant d’éléments régulièrement évoqués par les chefs d’entreprise pour justifier leur stratégie de relocalisation. Enfin, une des conséquences de la mauvaise qualité des biens ou des services produits, ainsi qu’une dénonciation des conditions de production peu éthiques peuvent dégrader l’image de l’entreprise et l’amener aussi à relocaliser (Mercier-Suissa et Bouveret-Rivat, 2013).

Dans tous les cas, il semble que deux logiques prédominent lorsqu’il s’agit d’exposer les déterminants de la relocalisation. (1) Une logique en termes d’avantages comparatifs qui se déforment au fil du temps et qui renvoient à l’attractivité des territoires. Au départ, la délocalisation s’expliquerait par un avantage comparatif supérieur dans le pays d’accueil par rapport au pays d’origine ; puis les avantages évoluant (suppression de l’aide fiscale par exemple, hausse des coûts salariaux…) le pays d’accueil aurait un désavantage comparatif par rapport au pays d’origine, expliquant le choix d’une stratégie de relocalisation pour l’entreprise ; (2) et une logique en termes de proximité de la demande et de sous-estimation des difficultés liées à l’éloignement qui augmente les coûts de contrôle. Ainsi, pour apprécier l’avantage ou non d’une délocalisation, il faut d’une part, raisonner en coût complet et d’autre part, tenir compte des avantages non négligeables, en terme de créativité, flexibilité et renforcement de la qualité, que procure une production à proximité de la demande.

On peut résumer ces deux logiques, dans le tableau 1 suivant, qui mettent en évidence les déterminants de la relocalisation.

…liés aux désavantages comparatifs du pays d’accueil

…liés aux avantages comparatifs du pays d’origine

Hausse des salaires locaux

Meilleure créativité et savoir-faire

Baisse de la qualité du produit ou du service

Meilleure productivité de la main d’œuvre

Main d’œuvre bien formée qualifiée

Hausse de la fiscalité dans le pays d’accueil

 

Automatisation, robotisation

…liés à la sous-estimation des coûts de l’éloignement

…liés à la demande de l’entreprise dans son pays d’origine

Hausse des coûts de contrôle : contrefaçon, pertes, vols…

Attitude nationaliste de la clientèle

Demande sociale et éthique

Privilégie le « made in France », « Origine France garantie »

Hausse des coûts de transport et des délais de livraison

Meilleure réactivité, flexibilité

Dégradation de l’image de l’entreprise ; risque de réputation (dégradation de l’image de l’entreprise, coûts économiques (boycott des produits, baisse du CA… et juridique)

Mesures fiscales favorables : zones franches, zones rurales

Hausse des coûts salariaux (coûts de formation, faible productivité de la main d’œuvre, forts taux de turn-over/coûts de fidélisation)

Facilité pour organiser les circuits de distribution en « juste à temps »

Droits de douane et taxes antidumping lors de la réimportation du produit

Production en petite série si la demande est versatile

Ateliers mal contrôlés : risques de contrefaçon et malfaçons

 

Tableau 1 : Déterminants de la relocalisation


Dès lors si les désavantages du pays d’accueil sont supérieurs aux avantages du pays d’origine, alors l’entreprise va relocaliser. Dans les études de cas d’entreprises qui ont relocalisé (Mercier-Suissa et Dominguez, 2014 ; Mercier-Suissa et Bouveret-Rivat, 2013, 2012 ; Chanteau et al. 2011 ; Cedre Ifop, 2011 ; Tridon, 2011, Gallego et Mahé de Boislandelle, 2011), les chefs d’entreprises interrogés expliquent qu’après la relocalisation, bien souvent, le différentiel de coûts demeure en faveur du pays d’accueil. Toutefois pour des produits innovants ou à fort contenu technologique, ce différentiel s’inverse en faveur du pays d’origine. Dès lors, c’est l’innovation qui va permettre de rendre pérenne la relocalisation.


Bibliographie :

  • CEDRE, Ifop (2011), « Le Made in France – Regards croisés Français et chef d’entreprise », Paris.
  • Chanteau, Jean-Pierre. ; Mercier-Suissa, Catherine (sous la direction de.) (2011). Rapport DAMIER (délocalisation d’Activités et Mobilité Internationale des Entreprises en Rhône-Alpes), rapport final 04-06-2011, projet Cible 2009, rendu à la Région Rhône-Alpes, juin 2011, 38 p.
  • Corris, Marie ; Carrincazeaux, Christophe; Piveteau, Alain (2011). « Délocalisation et industrialisation: comprendre   un   face à face   inédit », dans Mercier-Suissa, C. (sous   la   direction de), Entre délocalisations et Relocalisation : mobilité des entreprises et attractivité des territoires, Karthala, Les terrains du siècle, 247 p.
  • EL Mouhoud, Mouhoub (2013). Relocalisations d’activités industrielles en France, dgcis PROSPECTIVE, Pipame.
  • Gallego, Virginie; Mahé de Boislandelle, Henri (2011). Délocalisation et relocalisation en PME: risques et opportunités, Editions Economica, 160 p.
  • Mercier-Suissa, Catherine (sous la direction de) (2011). Entre délocalisations et Relocalisation : mobilité des entreprises et attractivité des territoires, Paris, Karthala, les terrains du siècle, 247 p.
  • Mercier-Suissa, Catherine; Bouveret-Rivat, Céline (2012). « Cas Gantois : Délocalisation et relocalisation d’activités », Centrale des cas des IUT, Paris, 17 p.
  • Mercier-Suissa, Catherine; Bouveret-Rivat Céline (2013). « La RSE : déterminant de la relocalisation ou outil de communication ? »,  U. Mayrhofer et P. Véry (sous la direction de),  Le management  international à l’écoute du local, Paris, Gualino, 349 p.    
  • Mercier-Suissa, Catherine; Dominguez, Noémie (2014). « Made in France et déterminants de la relocalisation des activités productives des PME : le cas Easybike », G. Lecointre (sous la direction de), 2015 Le Grand Livre de l’Economie PME, 3ème édition, Paris, p. 841-858.
  • Tridon, Céline (2011). « Le Made in France, une planche de salut pour les PME ? », Chef d’entreprise Magazine, N°59.